Protéger les hérissons à Genève : un enjeu urbain vital

On le croise parfois au détour d’un sentier, sous une haie ou en bordure d’un jardin. Le hérisson d’Europe, ce petit mammifère discret et inoffensif, fait partie de notre imaginaire collectif — un animal “sympa”, presque familier. Et pourtant, ce symbole de la biodiversité de proximité disparaît à une vitesse alarmante, y compris dans nos villes.

À Genève, il est aujourd’hui considéré comme une espèce protégée, tant son avenir est menacé par la fragmentation des habitats, le trafic routier, l’usage de pesticides ou encore la disparition des friches urbaines.

Mais le danger n’est pas toujours là où on l’imagine. Car si le hérisson souffre, ce n’est pas à cause de prédateurs sauvages. C’est notre manière de concevoir et d’occuper l’espace urbain qui le met en péril.

Cet article propose de faire le point sur la situation du hérisson à Genève, d’en comprendre les enjeux, et surtout, de réfléchir à ce que chacun d’entre nous peut faire, à son échelle, pour inverser la tendance. Car protéger le hérisson, ce n’est pas un geste anodin : c’est défendre un équilibre fragile entre nature et urbanisation.

Le hérisson, citadin malgré lui

Contrairement aux idées reçues, le hérisson n’est pas exclusivement un animal des champs. Depuis plusieurs décennies, il s’installe de plus en plus volontiers dans nos villes et nos quartiers résidentiels, où il trouve paradoxalement des conditions de vie plus favorables que dans les campagnes intensément cultivées.

À Genève, il s’invite dans les parcs, les jardins, les zones herbeuses en friche, les talus des voies ferrées, ou encore les abords d’immeubles. Là où les pesticides sont un peu moins présents, là où des habitants tolèrent un coin de jardin un peu “sauvage”, il trouve refuge, nourriture et tranquillité.
On pourrait presque dire qu’il s’adapte à notre urbanisme malgré nous, et c’est bien ce qui le rend si précieux.

Mais cette présence reste précaire, car elle dépend de petits équilibres : une haie non taillée, un tas de feuilles oublié, une clôture pas trop haute. Le moindre changement — une coupe “propre”, un terrain rasé, une rénovation de voirie — et le refuge disparaît.
C’est toute la fragilité du vivant dans un environnement pensé avant tout pour l’humain.

Herisson dans les fleurs

Les dangers qui guettent le hérisson en ville

Si le hérisson s’est invité dans nos milieux urbains, rien ne garantit qu’il y survivra. En apparence protégé, il est en réalité confronté à une série de menaces quotidiennes, invisibles et souvent involontaires.

Les routes, pièges mortels

Chaque année à Genève, comme ailleurs, des centaines de hérissons meurent écrasés sur les routes.
Nocturnes, lents, et peu enclins à fuir en cas de danger, ils sont particulièrement vulnérables dans les quartiers résidentiels, les zones périurbaines, ou le long des routes secondaires bordant les espaces verts.

Un simple déplacement entre deux jardins — souvent à peine 100 mètres — peut se transformer en coup de dés mortel.

Clôtures et murs infranchissables

La fragmentation de l’habitat est un autre facteur décisif. Clôtures bétonnées, grillages descendant jusqu’au sol, murs sans ouverture… Ce qui semble anodin pour nous constitue un labyrinthe sans issue pour le hérisson, incapable d’accéder à ses ressources ou à un abri sûr.

Résultat : il se retrouve piégé, affaibli, parfois affamé. Un jardin parfaitement clos est un désert biologique pour lui.

Toxiques invisibles : pesticides et anti-limaces

Comme beaucoup d’insectivores, le hérisson est indirectement victime des poisons que nous utilisons dans nos jardins ou nos plantations. Limaces, vers, insectes : lorsqu’ils sont contaminés par des pesticides ou des granulés anti-limaces, ils deviennent à leur tour des vecteurs de toxines. Le hérisson, en les mangeant, absorbe des substances qui fragilisent son système immunitaire et ses capacités de reproduction.

Et cela, même dans des jardins “bien entretenus” — parfois justement à cause de leur volonté d’être “trop propres”.

Entretien des jardins : des gestes à risques

Chaque année, des hérissons meurent brûlés ou broyés… parce qu’ils s’étaient réfugiés dans un tas de feuilles, de bois ou de compost qu’on a déplacé ou enflammé sans vérifier.
C’est leur instinct de survie : se cacher dans ce qui ressemble à une tanière naturelle. Mais dans un monde où tout se coupe, se trie, se range… ce comportement devient un piège mortel.

Les chiens : des compagnons pas toujours bienveillants

Les attaques de chiens ne sont pas la première cause de mortalité, mais elles existent, notamment dans les lieux clos ou les zones boisées. Un hérisson surpris, blessé ou retourné peut mourir de ses blessures — ou du stress.

Là encore, ce n’est pas une question d’accuser les chiens, mais de reconnaître qu’un minimum de vigilance est essentiel, surtout en période estivale où les hérissons sont plus actifs.

Herisson en milieu urbain

À Genève, une protection légale… mais encore trop méconnue

Face à ce constat alarmant, le canton de Genève a pris une décision importante : le hérisson est une espèce strictement protégée sur l’ensemble de son territoire. Cette mesure découle à la fois d’initiatives cantonales et d’engagements internationaux, comme la Convention de Berne, qui impose la protection de nombreuses espèces de la faune sauvage.

En pratique, cela signifie qu’il est interdit de capturer, déplacer, blesser ou tuer un hérisson, même avec les meilleures intentions du monde. Cela concerne aussi les jeunes spécimens, les individus malades, ou les hérissons rencontrés en hiver — période à laquelle ils sont censés hiberner.

Ce que beaucoup de gens ignorent, c’est que “vouloir bien faire” peut parfois nuire : ramasser un hérisson trouvé en pleine journée, l’installer chez soi ou tenter de le nourrir sans connaissance, c’est prendre un risque pour lui.

En cas de doute, il faut plutôt contacter un centre spécialisé, comme :

Ces institutions disposent des compétences pour évaluer la situation et, le cas échéant, soigner puis relâcher l’animal dans un environnement adapté.

Une législation utile, mais insuffisante seule

Même si ce cadre légal est indispensable, il ne suffit pas à lui seul à garantir la survie du hérisson en milieu urbain. Encore faut-il :

  • que la population soit informée,
  • que les autorités locales prennent en compte l’espèce dans leurs projets d’aménagement,
  • et que les comportements individuels changent.

C’est là qu’interviennent les associations locales, comme Nature Montbrillant, qui œuvrent à reconnecter les habitants avec leur environnement immédiat. Parce que préserver la biodiversité commence souvent… dans son propre environnement.

Herisson dans la nature

Que faire concrètement pour aider les hérissons ?

Le sentiment d’impuissance face au déclin de la biodiversité est souvent paralysant. Et pourtant, le cas du hérisson est l’un de ceux où les gestes individuels peuvent vraiment faire la différence — surtout en milieu urbain.

Voici une série d’actions simples, efficaces, et parfaitement applicables à Genève.

Ouvrir des passages entre les parcs et jardins

Les hérissons parcourent jusqu’à 2 à 3 kilomètres par nuit à la recherche de nourriture, d’eau ou d’un abri.
Mais les clôtures, grillages, murs et potentielles palissades les bloquent souvent.

Créer un petit passage de 10 x 10 cm au bas d’une clôture (ou laisser un interstice naturel) suffit à reconnecter des espaces vitaux.

Dans certains quartiers européens, ces “autoroutes à hérissons” font même l’objet de conventions entre voisins — pourquoi pas à Genève ?

Accepter un peu de “désordre” au jardin

Un jardin tondu au millimètre, sans tas de bois, sans zone d’ombre ni herbes folles est un désert pour la faune. À l’inverse, laisser un coin un peu en friche, ou un tas de feuilles au calme, c’est offrir un refuge naturel.

Pas besoin de tout “laisser aller” : il suffit souvent d’un coin discret, dans un angle ou derrière une haie, pour offrir un abri utile et discret.

Bannir les pesticides et produits chimiques

Limaces, vers, coléoptères… ce sont les plats préférés du hérisson. En les tuant ou en les empoisonnant, on affame indirectement ce petit mammifère.

À Genève, il existe de nombreuses alternatives écologiques, naturelles ou mécaniques pour jardiner intelligemment — sans nuire aux espèces auxiliaires comme le hérisson.

Vérifier les tas avant de nettoyer ou brûler

Avant de tailler, broyer, débroussailler, allumer un feu de jardin ou déplacer un tas de compost : jeter un œil, bouger doucement, écouter.

Beaucoup de hérissons meurent brûlés ou écrasés, non pas par malveillance, mais par manque d’attention.

Offrir de l’eau fraîche (et rien d’autre)

En période de canicule, les hérissons souffrent aussi. Une simple coupelle d’eau dans un coin ombragé peut les sauver.

Mais pas de lait : leur système digestif ne le tolère pas et cela peut les rendre très malades.

Surveiller son chien dans les zones sensibles

Un chien curieux qui découvre un hérisson peut, même sans agressivité, le blesser gravement. Un coup de patte, une morsure, ou simplement le stress peuvent suffire à compromettre la survie de l’animal.

En balade ou dans un jardin partagé, un peu de vigilance permet une cohabitation apaisée.

Et si on aidait les hérissons… sans jardin ?

On pense souvent qu’il faut un jardin pour agir en faveur des hérissons. C’est faux.
Même en plein cœur de la ville, chacun peut jouer un rôle. Voici comment :

Faire bouger sa régie ou copropriété

Vous vivez en immeuble ? Parlez à votre régie ou au concierge de la possibilité de :

  • laisser un recoin non tondu ou une zone de feuilles mortes dans la cour ou les espaces communs
  • ne pas cimenter systématiquement les pieds d’arbres ou talus en bordure
  • favoriser les haies basses ou perméables plutôt que les clôtures grillagées fermées

Ce sont de petits ajustements, mais pour un hérisson, ça change tout.

Mobiliser son quartier

Un panneau “faune présente”, une alerte dans le groupe WhatsApp du coin, une affiche dans le hall ou une info au Conseil de quartier…
C’est souvent le bouche-à-oreille de proximité qui permet d’éviter un désastre.
Tu sais qu’un hérisson vit dans un coin de friche ou derrière un local technique ? Fais-le savoir.

Soutenir les actions locales

Pas besoin d’être biologiste pour aider. Vous pouvez :

  • relayer une campagne de sensibilisation
  • faire un don à une association de protection
  • ou aider ponctuellement (flyers, stands, chantiers participatifs)

Après tout, c’est aussi votre ville. Et les hérissons aussi y vivent…

Conclusion : défendre le hérisson, c’est défendre une autre idée de la ville

On pourrait croire que le hérisson est une victime collatérale de l’urbanisation.
Mais en réalité, il en est l’un des premiers révélateurs. Lorsqu’il disparaît, ce n’est pas seulement un petit animal que nous perdons : c’est tout un équilibre entre nature et espace urbain qui s’effondre.

Et si l’on en fait un symbole, ce n’est pas pour le romantiser, mais parce qu’il nous oblige à poser les bonnes questions :

  • Quelle place laissons-nous au vivant dans nos villes ?
  • Quelle nature voulons-nous préserver — ou faire revenir ?
  • Et surtout : sommes-nous prêts à partager l’espace avec d’autres formes de vie que la nôtre ?

À Genève, comme ailleurs, la protection du hérisson est un levier concret pour repenser notre rapport à la biodiversité de proximité. Ce n’est pas une grande loi, ni une déclaration solennelle : ce sont des gestes simples, des choix collectifs, et un peu d’attention dans notre quotidien.

Et si, au lieu de tondre toujours plus, de clôturer toujours plus, ou de contrôler toujours plus… on apprenait à laisser un peu de place ?
Un peu de “vide”, un peu de “désordre”, un peu d’inattendu. Juste assez pour qu’un hérisson passe…

Dans une ville qui s’agite, courir moins vite, observer un hérisson passer… c’est peut-être déjà commencer à mieux habiter le monde.

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